[Intimement confinés #13] "Une terre d'évasion". Hervé Resse
Savoir lui dire, le podcast - Een podcast door Emilie Soulez

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"Se sentir d’un pays auquel ne nous rattache ni la terre, ni l’hérédité, pas la moindre goutte de sang… Proche par les seules voies du cœur, liens invisibles qu’on aura mis quarante années à dénouer… Je suis de l’Ecosse comme on est d’une autre destinée. Les Ecossais nous aiment. Ce n’est pas si fréquent. Cela remonte aux Stuart, à des guerres anciennes qu’ils gardent en mémoire, quand nous les avons oubliées. Qu’on ne soit pas d’Ecosse comme on est d’Angleterre me semble une évidence. Moins du nationalisme, qu’une solide « Tradition ». Si j’étais svelte, je m’offrirais cette coquetterie : le kilt, et tous les accessoires, flashes, chaussettes en laine, épingle, ceinture celtique. Pour comme disait Boris Vian, « ne pas crever sans avoir porté une robe sur les Grands Boulevards ». D’Édimbourg ma fille m’a ramené une large écharpe de tartan vert et bleu, merveille d’élégance. Dieu fasse que je ne la perde jamais, rien ne me peinerait davantage. Se joindre aux chœurs de Murrayfield, entonner Flowers of Scotland… La moindre cornemuse me donne le frisson. Et me bouleverse comme jamais la voix rocailleuse de Rod Stewart, soudain si douce pour Auld Lang Syne. "And surely you will buy your cup / And surely I'll buy mine / And we'll take a cup o'kindness yet / For auld lang syne". Me ravissent bien sûr les noms des Single Malts, surtout les gaëliques, imprononçables : « Auchroisk », « Bruichladdich », « Bunnahabhain », « Usquaebeach ». En posséder des dizaines, partir avec de vrais amis en voyages de recherche : comparer - sans modération aucune - les arômes, saveurs, subtilités… sans y laisser jamais le peu de santé qui reste. Pour fuir le confinement, je m’offre un dram de ce subtil Fettercairn qu’un ami cher m’offrit pour mon anniversaire. Et j’avance dans la Trilogie Ecossaise de Peter May. Trois enquêtes policières marquées d’un humanisme rude, sauvage comme une odeur de tourbe, sur une île du nord-ouest qui l’est tout autant. Je n’y survivrais pas deux semaines ! Mais cela me renvoie vers Aout 2001. Deux intenses émotions. Nous sommes sans le savoir tout proche du 11 septembre, renaissance de ce monde inhumain qui nous voit ces jours-ci confinés. Et nous revenons d’Ecosse, chaque journée là-bas vécue comme un voyage aux sources de l’imagination dont Inverness serait le climax. Depuis l’âge de huit ans, je rêvais du Loch Ness. Un article de France-Soir m’apprenait qu’il s’y cachait peut-être un animal mystérieux, - mammifère ou poisson, qui pouvait dire-, un monstre hantant les eaux du Lac depuis des millénaires, à moins qu’à plusieurs ils aient fondé une dynastie échappant à l’insatiable besoin des hommes de toujours tout savoir, à défaut de comprendre. L’irruption de Nessie fut plus une bénédiction, un bonheur, et la revanche d’un imaginaire qui depuis ma naissance m’était confisqué. Comment dire le manque qu’aura signifié dans ma vie l’interdiction formelle de croire au Père Noel ; si ridicule que cela sonne dans la bouche d’un sexagénaire, cela m’a marqué. A jamais. Le Père Noel, « ce mensonge qu’on raconte aux enfants pour les manipuler », jurait la mère. Ce qui était pernicieux, pervers, c’était m’instrumentaliser pour affirmer son propre rêve de toute-puissance, et me voler ma place d’enfant en me déguisant en surdoué à qui on ne la fait pas. Pour que l’Ecosse lointaine conserve sa magie, il fallait que le rêve ne fût pas trop vite calmé par le voyage. Je ne l’ai fait qu’à 43 ans, et n’y suis pas depuis retourné. Mais cela se fera : quand bien même elle ne sera qu’un piège à touristes en mal de mystère et d’ésotérisme désuet, j’irai visiter la Chapelle Roselyn. Car je suis un Ecossais. Reconnu comme tel par mes Pairs, et par eux Accepté. Je suis de l’Ecosse comme on est d’une victoire de l’imaginaire et du symbole, sur le Réel qui étouffe. Loin de tout confinement, physique ou mental, l'Ecosse est à jamais mon Graal, terre ultime d'évasion." Hervé Resse