[Intimement confinés #14] "Je reste sans voix". Laurent Javault

Savoir lui dire, le podcast - Een podcast door Emilie Soulez

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1er mai 2020. En plein confinement face au COVID19, un texte écrit et lu par Laurent Javault. "Je reste sans voix. La bonne blague. Voici le premier podcast sans paroles. Voir tous ces humains dans leur salle-de-bain, leur jardin, leur train-train. Voir leur bagnole prendre la poussière. Ca me laisse sans voix. Bagnole sur laquelle je me pose et dépose mon petit caca. Ce n’est pas pour me déplaire. Ensuite ? Ensuite je reprends mon vol. J’ai noté que le ciel m’appartenait comme jamais il ne m’a appartenu. D’habitude je dois le partager avec ces grands trucs tout là-haut qui se prennent pour moi. Mais moi j’ai bien vu le filet blanc ridicule qu’ils laissent traîner de leurs fesses. En plus il paraît qu’il y a des gens assis là-dedans. Assis comme au cinéma. Assis derrière leur ordinateur. Moi ? Je ne transporte rien d’autre que mon âme de moineau. Parfois je me dis c’est trop con. On pourrait s’entendre, depuis le temps. Nous les moineaux (je ne parle pas de ces salauds de pigeons qui pullulent et m’ont chassé des squares) et vous les humains. Depuis le temps qu’on se fréquente, on devrait avoir chacun notre place, tranquilles, peinards, sans histoires. Mais vous en faites des histoires. Vous ne faites même que ça. La dernière en date, c’est donc cette histoire qui met une pause à votre propre histoire. Encore un truc impossible que vous avez inventé ! Vous ne vous arrêtez jamais ? Cette histoire de virus donc, qui me ferait presque rire des deux ailes, à vous voir reclus comme des moines dans vos habitations. A propos de moine :  on en a connu un, nous les oiseaux, il y a bien longtemps. Il nous appelait, nous venions ; il nous parlait, nous écoutions. Celui-là au moins ne nous tirait pas dessus. C’était en Italie, du côté d’Assise je crois. Moi, je sais bien que lorsque vous ressortirez de votre maison, ce déjà-fameux 11 mai (vous voyez rien ne m’échappe) ce sera pour nous tirer dessus. Oh, pas avec des fusils bien sûr ! Vous êtes trop malins. D’ailleurs vous êtes les premiers à nous trouver adorables, mignons, à signer des pétitions et à nous afficher en poster dans les chambres de vos enfants. Non, vous nous tirez dessus à votre façon : en abîmant les campagnes, les champs ; en mettant du béton partout, en cultivant partout les mêmes plantes, en y mettant partout des produits qui sentent mauvais et nous empoisonnent tout le corps à petit feu. Voilà c’est dit. On n’est pas dupe. Là vous êtes sur pause. Demain vous serez sur avance rapide. Car il paraît que c’est la crise économique. Vous voulez dire, votre crise économique ! Notre crise à nous, de moineaux, de corbeaux, de perdreaux, que sais-je – et tiens j’intègre même ces idiots de pigeons – notre crise à nous, vous dis-je, mais vous n’en avez rien à foutre au fond… Pardon pour ce gros mot. Un moineau ne devrait pas être vulgaire. Vous m’y forcez puisque vous êtes vous-mêmes vulgaires, malgré toute votre, oh la la, formidable intelligence. J’en dirais autant de votre espèce de narcissisme, ou plutôt de votre narcissisme d’espèce. Je vais m’arrêter là. Je vais vous laisser. Je vais en profiter pour faire encore un petit tour au-dessus de la ville tant que c’est possible, tant que vos bagnoles ne m’emmerdent pas (désolé encore pour le gros mot). J’aime pas vos pare-brise. … (un temps) « Moi, moineau. » Je vous entends rire d’ici. Et pourtant, je vous le redis : « moi, moineau. » Il faudra bien qu’un jour, tout primate que vous êtes, vous entendiez de nous autre chose que de charmants gazouillis. « Moi, moineau… je ne chante plus, je crie. »" Laurent Javault

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